"Salut" je dis en entrant dans la pièce où se déroule la réunion. "Salut" me répondent quelques gens. Je trouve que c'est quand même un bon accueil. Un type, qui, je l'apprendrai plus tard, s'appelle Bastien, parle au micro. C'est du blabla assez chiant, il se plaint et cherche de la compassion, j'aime pas ce type de loser. Il fait le tour de la salle des yeux en parlant, quand il en arrive à moi je maintiens son regard jusqu'à ce qu'il se sente mal. Après on va manger du quatre-quarts en buvant du café et du jus d'orange. Pour discuter avec une fille à côté de moi je fais une petite blague, je sais plus exactement quoi, un truc sur "avec modération". Elle rit un peu, pas parce que c'est drôle, mais parce que ça craint de se retrouver à parler à personne quand on a un quatre-quarts à la main. Alors je lui dis "au fait, je m'appelle Sylvain", elle me répond avec son prénom suivi d'enchantée mais je suis plus sûr de son prénom. Nadège? On parle des difficultés qu'on a eu pour trouver la salle, moi je dis "aucune" et elle non plus alors j'en profite pour féliciter le réseau de bus qui est quand même bien pratique.
Ensuite un autre type monte sur l'estrade. C'est un latino, quarantaine fripée, du genre qui bosse comme cuistot dans une rôtisserie. Il est plus sincère que l'autre mais je crois que j'écoute surtout pour son petit accent: j'aime ça les accents. Lui, il a fait plein de réunions déjà et testé beaucoup de choses mais ça marche pas il dit, il dit "par moments je pense qu'on est condamnés". À ce moment là, une grosse femme qui organise lâche un "mais non Joël" entre choc et compassion. "Je m'appelle José" il lui répond. Et il continue de parler, et il explique que son boulot l'emmerde et qu'il comprend pas pourquoi au lieu de parler on l'aide pas à trouver un autre boulot parce que son boulot il le hait, et ça lui détruit la santé et le moral et qu'il peut pas faire sans parce qu'il a besoin d'argent pour payer son appart' et élever dignement sa fille. Une autre bonne femme monte sur l'estrade et lui prend le micro des mains en disant que l'important c'est de parler, qu'il faut en parler et que merci José. Lui, il avait d'autres choses sur le cœur, mais bon, c'est comme ça, tout le monde doit parler, tout le temps, tout le temps parler, s'exprimer, tout le temps, tout le monde, on pourra tous parler tout le temps pendant cinq minutes, il faut parler, il faut que ça sorte. José va se chercher un café et se rassoit au fond. La grosse femme chuchote mon nom à l'autre femme et l'autre femme dit "Nous accueillons maintenant Sylvain, venez Sylvain". Alors je monte.