Le couteau tranche le roti sans bruit, la fille soupire des "huuuum" et l'autre fille ajoute "on va se ré-ga-ler". Je partage leur avis mais au fond de mon coeur et de mon estomac, je suis noué. Je connais ce boeuf dont je découpe un bout en ce moment même. Je ne le connais pas personnellement, d'abord pour des raisons syntaxiques, mais je le connais par coeur. C'est un animal de masse, il a eu une vie pourrie et une ou deux fois, son voisin de derrière lui a fait dessus. On les nourrit trop fibreusement ces bêtes là. Si c'était un homme, il aurait vécu toute sa vie dans un HLM à Nevers. Il va être bon, surement, je l'ai arrosé d'huile d'olive chère, truffé de mini ails frais et cuit avec des patates Yukon Gold au basilic et gros sel marin. Mais il va être triste sous la dent. Les filles s'en foutent, elles diraient encore que je réfléchis trop, les naïves, mais c'est le contraire, je pense que toute cette viande cheap m'a rendu stupide. Ça, la télé et la bière.