Arnaud, c'est drôle, je l'avais rencontré une première fois deux ans avant, à Paris, alors que je visitais une amie. C'était un ami d'ami d'un nouveau cercle qu'elle essayait de se créer. J'étais partagé. Ce type était visuellement de droite, notamment parce qu'il nous avait embarqué dans un rade chiant (les gens de droite ne savent pas rigoler), mais en même temps sa paire d'Alife préférée c'était les Pepsi et moi aussi, même si j'en ai jamais acheté à ma taille. J'étais resté sur cette impression mi-figue mi-raisin, ce qui signifie un truc peut être acide, trop acide je pense, mais j'aime pas les figues aussi. Donc je me suis dit "tiens c'est drôle" quand, par l'entremise d'un ami de mon éditeur, j'ai retrouvé ce type pour un plan de scénarisme. L'idée était de refourguer des trucs à Canal + pour une série télé de 6 épisodes. Canal + sont les mecs les plus ouverts sur les trucs un peu originaux en série, genre sans flic et sans naine ange gardien magicienne à deux balles. Lui, il m'a pas reconnu de suite quand je lui ai serré la main. Je déteste que les gens croient qu'ils ont fait une grosse impression sur moi quand c'est pas le cas, je suis juste très physionomiste bordel. Je n'ai aucune idée de comment ce type peut avoir eu le droit d'entrée pour scénariser un truc, il est nul. Je pense même être plus vendeur que lui, ça c'est parce que j'ai un meilleur branding facial. On fait un gros brainstorming pour voir ce qu'on peut refourguer comme idées. Il démarre avec des trucs à la con, en fait, notre première rencontre est un collier de trucs à la con. Et blablabla les coulisses du porno, et blablabla une mère de famille addict aux amphèts, et blablabla une famille qui est scindée en deux politiquement... Dès les premières minutes je décide d'une stratégie dite de la porte ouverte à la queue de poisson: je donne des idées de merde de son niveau en faisant mine de m'intéresser aux siennes et dans le même temps, je me renseigne pour savoir si je peux le doubler. Après ce verre, Arnaud est content comme tout, on est vraiment sur la même longueur d'onde et on va bien travailler ensemble et on va réfléchir à tout ça et lui il va officialiser notre entente et créer un truc pour qu'on soit légalement liés et tout et faudra peut être penser à un nom de boîte de prod'. Je dis très bien. Durant la semaine qui sépare le prochain rendez vous, je fais des pieds et des mains pour me libérer du boulet mais ouïlle, c'est sur son nom qu'on lui a proposé des trucs, probablement une histoire de papa quelque part. Mon éditeur me prévient que le doubler c'est me griller. Ma meuf me dit qu'elle me quitte. Ça n'a pas de rapport je sais mais ça arrive à ce moment là donc faut bien que je le note. D'après mon éditeur, ce type est indélogeable, il a un peu écrit pour des téléfilms et des trucs à la con, son papa a fait genre producteur de Navarro et il est clairement bankable et c'est ça le plus important pour qu'un projet avance. Et il sait négocier des trucs et rédiger des contrats et empêcher les scénaristes de se faire enculer. Et c'est probablement ma seule chance de ramasser de la caillasse. Et je le juge mal. Le deuxième rendez vous se précise, et là je décide d'une stratégie ouverture des portes, protection solaire. Ça me fait bien marrer. On discute un peu à droite à gauche et j'attaque pour être sûr sûr sûr sûr que ce gars va pas me voler mes idées brillantes, parce qu'évidemment, j'en ai des idées brillantes. Le type me sort des papiers en veux-tu en voilà, je signe, je paraphe, je lis, je relis, je commente, on reprend des tariquets. Bientôt arrive le moment du brainstorming, j'ai pas réfléchis une seconde à toutes les idées de merde de la semaine dernière alors dès la première phrase je l'embarque vers ma dernière folie, un truc vraiment balèze, l'histoire d'un écrivain qui écrit sur un personnage qui devient réel et qui devient son coloc et qui écrit une histoire qui devient réelle et dont les personnages deviennent ses colocs et qui eux même écrivent et tout ça s'ajoute dans un feu d'artifice fou et bientôt y'a des gens partout dans l'appart et on doit lutter pour suivre l'histoire du premier mec qui en fait est vraiment la plus intéressante et je suppose qu'à la fin le type peut s'évader de ce truc et si ça marche, on peut imaginer une saison deux où le type essaie d'éviter tous les gens qu'il a créé directement ou indirectement et qui se plaignent sans cesse parce que les gens en général, et les personnages de fiction en particulier, ne savent que faire ça: se plaindre, encore et encore. Arnaud a finit son verre de Tariquet plus vite que moi, il est immobile et ses yeux brillent. Ce type étant de droite, il aime l'argent et l'audace (ce sont les seules qualités des gens de droite, avec cette propension à pouvoir faire du sexe dégueulasse qui me fascine) et il aime mon truc ça se voit. Je lui propose de ne pas tenter de m'embrouiller niveau argent, niveau contrat, niveau contrôle, niveau rien. Je lui propose de me laisser faire le cadre et qu'on bosse ensuite pour que tout marche comme sur des roulettes, je lui confie que souvent la psychologie des personnages je m'en fous et que je préfère les répliques bien senties, je lui confie que les histoires de format à respecter c'est pas mon fort aussi, je lui confie que je compte lui refiler tout ce que j'aime pas et qu'il se démerde avec parce que cette idée peut être folle et qu'il est hors de question qu'on ait des acteurs à la con, genre Smaïn dans cette série. J'aimais Smaïn, notamment dans le film avec Pierre Richard et cette histoire de coiffeur et de milliardaire, mais c'est pas une raison pour qu'il joue dans notre série. Arnaud est encore pas mal immobile, l'argent coule le long de ses joues, il me garantit que Smaïn ne jouera pas et on commence à vraiment écrire le truc.